Les jambes lourdes, en compote. Mon corps se déplace avec une lenteur atroce. Maudite soit cette alcoolémie tenace qui sans avoir vu le verre de trop pointé le bout de son nez, sans crier gare est devenue ma plus fidèle compagne. Elle me parle un peu, mes oreilles refusent d'écouter. Elle continue de parler et finit par s'éloigner, Kate, tenace elle aussi. Ses lèvres bougent tandis que les miennes se serrent afin de ne pas régurgiter la totalité de ce qui se trouve dans mon estomac. Tête molle et vide aux allures de prostituées qui venaient de sortir de son bordel encore souillée de la veille.
Elle ressort, silhouettes et formes approximatives que j'arrive très difficilement à distinguer, que je n'arrive pas à distinguer. Je me demande si les oiseaux se cachent pour mourir, je repense soudain à ce poème de François Coppée. J'essaie méthodiquement de me demander si j'ai déjà, juste une fois, vu le squelette morne d'un piaffe crevé. Jamais. Je renifle et manque de tomber quand une main se glisse dans mon dos me sortant automatiquement par un mouvement de recule de ma rêverie. Succession de voix étrangement lointaines mais si familières. Je flotte au dessus du sol, ma personne se déplace presque portée, je vole. Mes paroles sont discrètes, un sourire niais s'affiche sur mon visage. Mes yeux se ferment encore un temps, les voix résonnent, discutent avec force sans que cela m'atteigne réellement. Puis, alors, soudain, je me demande si je suis la seule à n'avoir jamais vu de bébés pigeons. Je me demande s'ils ont des plumes. Je les vois plus comme une sorte de petit dodo immonde qui becte sans répit. L'idée me soulève le coeur. Nouvelle interruption d'une voix grave et rauque, familière et réconfortante. Une voix que je connais bien sans pouvoir mettre de visage dessus. J'hausse les épaules, inutile de se poser des questions inutiles, la voix insiste lentement en articulant syllabe par syllabe, Nög, tu veux rentrer chez toi, question étrange, je suis dans le nid d'un pigeon entrain de faire le bébé pigeon avec mes frères pigeons. La mère pigeon dans sa bonté d'âme et dans son instinct maternelle mâche mon repas, au moment ou son bec rentre dans ma bouche, je sens ma gorge se réchauffer. Pâte molle et visqueuse qui se loge contre ma glotte. Rêverie interrompue. Je reprends mes esprits le temps d'un instant. Vite, je n'arrive pas à ouvrir cette putain de fenêtre. La portière est verrouillée, comme si je pouvais m'enfuir, je ne sais pas ou je suis, avec qui, pourquoi. enfin si, j'ai bu. Ma tête cogne, putain, envie de mourir à l’instante. Mes yeux font le tour de ce que je suppose être une voiture. Boîte à gant, je lève mes yeux embrumés sur la Voix, je suis désolée pour ce qui va suivre, j'ouvre la boîte à gant, mes cheveux tombe sur mon visage. Je me mets alors à vomir tripes et boyaux dans le petit compartiment. Encore et encore. Des grosses larmes viennent perler sous mes yeux, roulent sans s'arrêter, mon visage une fois l'ouvre accomplie redevient lisse, parfait. Vomir avec classe.
Je m'essuie d'un revanche de manche peu sexy la bouche, une main remet mes cheveux en arrière, tandis que l'autre se colle contre mon ventre, arraché de douleur. je referme du genoux le récipient qui a accueillit avec gentillesse le contenu de mon estomac. Mes yeux se tournent vers mon interlocuteur, je ne vois pas bien son visage. Odeur pourtant une fois encore familière, rassurante qui se mélange aux effluves peu glorieuses de ce que je viens de régurgiter. Je murmure alors, je vais tomber dans les pommes, mes yeux se collent sur lui, je lui souris avec un brin de honte dans le creux de mon visage. Si je meurs ce soir, dîtes à Clov Zavialov que je l'aime. Mes paroles sont flous, autant que mon esprit, j'en suis sûre, je rajoute avant de sombrer dans un comma semi profond de vomi, dîtes aussi à Flynn Payne que je suis amoureuse de lui depuis 2190 jours. Je m'évanouie. Enfin.
Il aurait été étonnant que je me fonde plus parfaitement dans la masse étrange, rêve délicat aux allures sombres de cauchemars. Petite pression supplémentaires comme je me sens tomber mais qu'il me devient impossible de me réveiller. Je maudis l'alcool et ses méfaits, je maudis cette sensation dégueulasse de bile qui c'est amoncelée dans mon estomac et qui a trouvé refuge dans ma gorge. Petit nuage pourtant, sur lequel je me promène entre haut-le-coeur et déshydratation. À l'abri dans mon petit château de princesse aux murs épais, les images dans ma tête ne veulent plus rien dire. Afin de vous épargner ce sujet plus que lancinant et plus qu'ennuyeux, je vais vous raconter le mythe d'Aristophane. J'en parle sans doute beaucoup, car c'est un écrit de Platon tiré du Banquet que j'adore tout particulièrement. Il relate une certaine beauté dans l'affection que je ne pourrais détruire avec aucun de mes acerbes arguments.
Au commencement, il y avait en tout point des êtres parfaits composés de quatre jambes, quatre bras, deux têtes, deux sexes et un corps. Ils vivaient dans une harmonie telle qu'ils s'auto-suffisaient en permanence. Doué d'intelligence, de bon sens et de raffinement, les êtres parfaits convoitaient cependant les Dieux vivant sur l'Olympe, pensant qu'ils ne leur fallait et ne manquait plus que la puissance des Dieux, mais surtout leur éternité pour être heureux. Zeus, mécontent du retournement de situation, décida avec la puissance de son éclair de scinder les êtres parfait en deux. Il envoya ainsi chacune des moitiés à l'autre bout du monde les uns des autres. Pour que toute leurs vies ne se consacre qu'à la recherche de leur âme sœur et qu'ils ne cherchent plus à s'approprier l'Olympe. Et quand les êtres parfaits retrouveront la moitié qu'ils ont perdu, ils seront alors immédiatement recollés par la foudre. Ils auront ce qu'on appelle plus couramment; un coup de foudre. Il me semble évident, qu'à travers ce mythe, Platon, par l’intermédiaire d’Aristophane, explique l’origine du désir amoureux, légitime l’homosexualité et explique son origine, et enseigne l’importance de la piété et le respect de la puissance des dieux, qui, négligée par les hommes orgueilleux, a conduit ces derniers à leur perte.
Mon cœur balance dans ma poitrine, suis-je alors un de ces êtres auto satisfait qui c'est lui même conduit à sa perte, qui a détruit petit à petit toutes les choses étranges aux quelles il tenait. Suis-je assez stupide pour croire qu'un vulgaire coup de foudre puisse exister, qu'une âme sœur, quelque part m'attend. J'ouvre un œil, puis l'autre, ma petite tête semble avoir jouer au curling toute la nuit sans mon accord. Je me redresse lentement, frotte machinalement le sommet de mon crâne mettant en bataille mes boucles qui étaient déjà ma foi, complètement emmêlés. Tee-shirt blanc trop grand qui me colle à la peau. Juste une petite culotte en guise de pantalon. Je reluque rapidement la déco. C'est pas mal, j'aurais pu choisir la même. Je vois mes vêtements, pliés à côté de mon sac. Mollement et sans trop grande conviction je me lève de l'énorme lit vide ou j'ai passé cette nuit particulièrement inintéressante, mais surtout mouvementée. Je me penche près de ce qui contient ma vie, je saisie mon cellulaire, le déverrouille, pas de messages, pas d'appels manquées. Ah, si un petit SMS de mon frère qui me propose de dîner avec lui ce soir. Rapidement je vérifie qu'il ne manque rien dans mon sac, mais vu la tronche qu'à la chambre de cet appartement, je me doute que je n'ai pas passé la nuit chez une ou un pickpocket. J'envoie un petit message à mon frère pour lui répondre. Lui demandant au passage si avec son téléphone, il peut me localiser et me rapporter quelques fringues potables car après vérification, il y a pas mal de gerbe sur les miennes. Je glisse le tout dans mon sac une fois mon oeuvre terminée. Je m'étire, lentement, je ne me sens pas pressée pour une fois. Je me sens comme chez moi, étrange.
J'attache mes cheveux dans un chignon extrêmement bien réalisé pour une matinée des moins sobre. Au moment où je vais pour sortir de la pièce, une masse me fait alors face. Grande, galbée. Des mains fines mais qui ont prit plus que de mesure le temps de travailler. Des jambes longues et fuselées. Une mâchoire carrée qui pourrait se poser sur le sommet de mon crâne tend cette masse est gigantesque. Je me mets alors à paniquer. Je sens que je vais vomir une nouvelle fois, pourtant j'ai dessaoulé. Flynn Payne me fait face. Cela fait bien des années que ce n'était pas arrivé, mon nez est si proche de lui qu'il pourrait très facilement me faire office de mouchoir. Nos yeux se croisent. J'avais oublié comme les siens étaient verts. J'avais oublié comme ses épaules me donnaient envie de lui sauter au cou et de faire le ouistiti en me balançant d'un côté à l'autre. C'est déroutant. Ma soirée défile petit à petit dans les images qu'il en reste. Il était donc cette étrange voix rassurante et connue. Je fais un pas de recule, parce qu'avec tout ça, je me rappelle que j'ai quand même abandonné lâchement ce type un beau matin sans laisser de mot, que je suis devenue un fantôme sans traces. Je reste quand même stoïque remarque juste la cigarette coincée entre ses lèvres. Je tends le bras pour l'attraper, lui vole et tire dessus. Latte de cowboy tout droit sorti du far-ouest pour rivaliser avec Eastwood. Je n'ose pas décrocher un mot, mais je le regarde quand même. Nous avons été ce genre de gens imbéciles-heureux qui n'avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Mais cette fois ci, peu importe la connexion qui semble encore être là. Je vais devoir m'expliquer et rendre des comptes.
La courbe de ses yeux fait le tour de mon coeur. Puis il s'arrête, tiens ça faisait longtemps que je ne l'avais pas si bien senti battre dans ma poitrine. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas senti cette musique. Molle, douce, prenante. Ses mots sont vrais, ils sont l'explication d'une disparition soudaine. Mes mains farfouillent je ne sais où pour attraper une cigarette. Corps et mouvements prudents qui s'approchent sans un bruit. Flamme mouvante, destructrice. J'hoche simplement la tête en guise de réponse. Je déglutis un peu en frottant le bout de mes doigts sur mes lèvres entre chaque lattes, je te dois la vérité. Mes paroles cassent un silence qui semble durer depuis des années, cinq ans environ.
Rare sensation ou je me sens si petite et fragile, comme si mes jambes ne pouvaient plus me porter et comme si le poids du monde voulait alors s'abattre sur mes épaules pour m'ensevelir sous des montagnes de gravas. Tu t'es réveillé et j'étais partie, je pensais que tu continuerai à vivre et que tu pourrais avancer. J'esquisse un sourire vague et triste, je n'ai jamais été doué pour les adieux. Je ne le regarde pas, la honte est présente et je dois faire le vide pour arriver à formuler convenablement mes idées. De mon côté, je me suis glissée hors de lit rapidement, j'ai tout quitté et j'ai disparu sans rien dire à personne.
Il suit les mouvements de mon corps, sans doute une peur viscérale qui lui fait penser que je vais à tout moment détaler comme un lapin sauvage et qu'une fois encore il ne me verra plus jamais.
" Mes parents ont construit la totalité de leur fortune sur les apports de sociétés externes, ma mère organisait des œuvres de bienfaisances, et redorait comme elle pouvait l'image de ce qu'était l'empire Zavialov. C'était ridiculement pratique, si pratique qu'à l'inverse mon père avait contracté des dettes. Beaucoup de dette avec l'argent de sociétés qui n'étaient pas à lui. Les Russes n'ont pas mauvaise réputation pour rien et n'ont pas pour habitude de laisser des millions voler à plein naufrage sans rien dire, un petit rire m'échappe. Enfin, arriver au point de non retour les bourreaux de ma famille sont allés chez mes grands-parents pour menacer la veuve et l'enfant. Cela na pas suffit, donc quelques jours plus tard, ils ont fait la peau à trois des collaborateurs de mon père. Classe et efficace. Mes parents ont prit peur et ils ont décidé de faire ce qu'on leur demandé pour ne pas finir les deux pieds dans le béton. Deux jours avant ma fuite soudaine j'ai dis à ma mère d'aller se faire foutre. Je pensais que j'allais faire ma vie avec toi, qu'on allait devenir des petits vieux chiants et cons qui crachent sur la foule en étalant publiquement leur bonheur sous le nez des autres. Puis dans la nuit elle m'a dit que si je ne venais pas, c'est Clov qui allait morfler. Elle m'a envoyé une lettre de menace que ces putains de fils de pute de Russes avaient écrite ou ils expliquaient dans les grandes lignes que la vie tient à peu de chose que si les deux morveux Zavialov ne venaient pas, ils se feraient un plaisir de faire de moi, une fille unique.
Je me lève, écrase ma clope et pose une fesse sur la table de Flynn qui n'a toujours rien dis, attendant sans doute la fin de l'histoire.
" On est retournés en Russie, couteau sous la gorge, devant laisser pour chacun d'entre nous quelque chose d'important ou de vital pour d'autres. En arrivant la bas, j'ai voulu t'écrire mais nous étions juste des esclaves modernes. Personne ne devait savoir à défaut de finir comme la pauvre famille Zavialov. Je vais t'épargner tout le reste et en venir juste à la fin et à pourquoi mon retour ici. Je me suis retrouvée fiancée à un malabar à la cervelle vide, il passait son temps à me taper dessus, à me violer et à me pomper mon fric. Mon père s'est finalement fait descendre comme une sac de viande monumentale et ma mère doit moisir dans une baraque là-bas entre la coke et le whisky. J'ai hérité de la totalité de l'empire que mon père avait construit, j'étais donc plus riche que mes bourreaux. Je me suis débarrassée d'eux, les uns à la suite des autres, récupérant plus d'argent dont j'avais besoin au final. Je les ai presque tous eu. Quelques uns ont compris qu'ils feraient mieux de partir avant que mon privé les trouve. Je suis revenue. Et petit à petit j'ai rendu à l'oeuvre originelle de mon père sa vraie image. Notre nom est aujourd'hui plus resplendissant que jamais. Ma famille se résume à mes grands-parents et mon frère et ma vie est triste et fade depuis que je suis partie. Je n'ai pas arrêté de me dire que tu devais me hair et que tu avais du refaire ta vie. Puis petit à petit j'ai espéré que non. "
Mon discours se termine, je suis un peu molle, Flynn est compliqué, imprévisible. Et peut-être qu'il n'avait pas envie de tout savoir. Et peut-être que je vais devoir partir maintenant.